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En1921, l’arrestation de Dick Rowland, un jeune homme noir accusé d’avoir agressé une femme blanche, a déclenché l’un des pires déchaînements de violence raciale qu’ait connus le pays.
ParBrice Laemle
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«J’entends les cris et je revis le massacre chaque jour. Un pays peut oublier son histoire, mais je ne peux pas.» En l’espace de six minutes d’un témoignage bouleversant, Viola Ford Fletcher est devenue le visage de ce que les Etats-Unis ont refusé d’affronter pendant près d’un siècle. Agée de 107ans, cette femme noire déterminée à réclamer justice et réparations a pris la parole le 19maidevant la commission judiciaire de la Chambre des représentants.
Elle a raconté les souvenirs qu’elle a gardés, intacts, du massacre raciste de centaines de Noirs les 31mai et 1erjuin1921, dans la ville de Tulsa (Oklahoma). Le plus important lynchage jamais mené sur le sol américain constitue le paroxysme des tensions raciales dans l’Amérique ségréguée du début du XXesiècle. Pourtant, jusqu’au début des années 2000, celui-ci était absent de l’enseignement dans les écoles.
«Nous avons tout perdu ce jour-là, nos maisons, nos églises, nos journaux, nos théâtres, nos vies. Personne ne s’est soucié de nous pendant près de centans, notre histoire a été plongée dans l’oubli», a dénoncé Viola Ford Fletcher.
«Je n’oublierai jamais la violence de la foule hargneuse de Blancs lorsque nous avons quitté notre maison. Je vois encore le regard de ces hommes noirs qui se sont fait tirer dessus et leurs corps gisant dans la rue. Je sens toujours cette fumée et revois les commerces tenus par des Noirs être incendiés.»
Contrainte de quitter Tulsa dans ce climat de terreur xénophobe, l’Américaine a le sentiment que sa vie lui a été volée cette nuit-là. Elle espère désormais obtenir justice: «Je demande que mon pays reconnaisse ce qui m’est arrivé, et les tremblements, et la douleur, et la perte», a-t-elle assené devant une assemblée émue par la force de son récit.
Lire la lettre de Washington (en 2019) : Tulsa, lieu du plus important lynchage de l’histoire américaine sort de l’oubli
La mise à sac du «Wall Street noir»
Il y a un siècle, le 31mai1921, dans cette ville du sud des Etats-Unis, l’arrestation de Dick Rowland, un jeune homme noir de 19ans accusé d’avoir agressé une femme blanche de 17ans, a déclenché l’un des pires déchaînements de violence raciale qu’ait connu le pays. Se rendant dans les seules toilettes du quartier autorisées aux Noirs, le jeune cireur de chaussures aurait malencontreusem*nt écrasé le pied d’une opératrice blanche, selon une enquête de l’Oklahoma Historical Society. Tout s’enchaîne rapidement: la jeune femme crie, l’accusation d’agression sexuelle se répand vite, Dick Rowland est interpellé.
Des centaines de manifestants blancs en colère se pressent devant le tribunal de Tulsa, faisant redouter à la population noire un lynchage, pratique alors courante. Un groupe d’hommes noirs, dont certains sont armés, se mobilise. La tension monte, des coups de feu retentissent. Les Afro-Américains se replient vers leur quartier de Greenwood, surnommé «Wall Street noir» car connu pour sa vitalité économique. Dès l’aube du 1erjuin1921, un déchaînement de violences s’abat alors contre le quartier noir de la ville. Des hommes blancs saccagent et brûlent plus de 1250 habitations et commerces, sans que la police intervienne.
Lire aussi LeCongrès américain s’apprête àreconnaître le lynchage comme uncrime fédéral, après plus d’un siècle de débats
Des avions utilisés pour l’épandage agricole sont même transformés en armes de guerre, larguent des bombes incendiaires sur les maisons et des exécutions ont lieu en pleine rue. Entre 100 et 300personnes auraient été tuées en l’espace de quarante-huit heures, mais le chiffre reste incertain et pourrait se révéler encore plus élevé, de nombreux corps n’ayant jamais été retrouvés. Quelque 8000 des 11000 Noirs vivant alors à Tulsa se retrouvent sans foyer. Aucun des responsables blancs n’est poursuivi, tandis que plusieurs Noirs accusés d’avoir provoqué les violences sont condamnés.
Musée, documentaires et séries télévisées
Cent ans plus tard, le 21 mai, l’ONG Human Rights Watch a fait remarquer que les autorités municipales de Tulsa et de l’Etat de l’Oklahoma n’avaient toujours pas fourni de réparations financières pour ce massacre. Même si cela reste insuffisant pour l’ONG, l’ouverture d’un grand musée consacré à l’histoire du quartier, le centre historique Greenwood Rising, qui sera inauguré mercredi 2juin, reste néanmoins saluée comme une première étape vers la fin du déni.
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A l’occasion du centenaire du massacre, plusieurs documentaires télévisés traitent enfin de cet angle mort de l’histoire américaine, note le quotidien local The Oklahoman, parmi lesquels Tulsa Burning: The 1921 Race Massacre (diffusé dimanche 30mai sur la chaîne History) et Dreamland: The Burning of Black Wall Street (lundi sur CNN). Le fait que Russell Westbrook et LeBron James, deux stars noires de la NBA, aient produit ces documentaires devrait permettre à ces derniers d’attirer une attention supplémentaire.
Ces dernières années, les séries télévisées s’emparent, elles aussi, de ce drame. A l’image de l’épisode9 de la première saison de Lovecraft Country (2020), ou de la scène d’ouverture de la série fantastique Watchmen (2019) qui avait déjà permis de mettre en lumière le massacre de Tulsa. «Une grande partie du public entend parler de ce massacre pour la première fois», avait d’ailleurs noté à l’époque The Washington Post.
Le New York Times a, par ailleurs, publié, le 24mai, un modèle en 3D du quartier de Greenwood tel qu’il était en1921, sur son site Internet. Epaulés par des historiens, une dizaine de journalistes ont rassemblé des photographies et des données d’archives, épluché des données de recensem*nt, des articles de journaux et les témoignages de survivants de cette époque, afin de restituer l’ambiance dynamique du quartier avant qu’il soit réduit en cendres.
Une semaine après avoir reçu à la Maison-Blanche la famille de l’Afro-Américain George Floyd, mort le 25mai2020 sous le genou du policier blanc Derek Chauvin, Joe Biden sera présent aux commémorations à Tulsa. Le président démocrate prononcera un discours après une année rythmée par les manifestations du mouvement Black Lives Matter.
Lire aussi Article réservé à nos abonnés Joe Biden à Tulsa, théâtre d’un massacre raciste longtemps oublié
Brice Laemle
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